En France, tout le monde sait que la société civile ne peut pas s’orienter correctement sans la bonne direction de l’État, gardien bienveillant – forcément bienveillant – du cheptel citoyen. Pour la diriger, rien de mieux que quelques coups de bâton et quelques carottes qu’on n’enfonce pas toutes dans les orifices disponibles : pour un État omnipotent, légiférer permet toutes les fantaisies et autorise toutes les audaces. Et c’est ainsi que, par la magie de la loi, la société française va découvrir le doggy bag.
Oui, vous avez bien lu, et non, il ne s’agit pas d’une pratique sexuelle alternative.
La pratique du “doggy bag”, c’est cet usage anglo-saxon et plus typiquement nord-américain qui consiste à emporter le reste des assiettes proposées au restaurant dans une barquette qu’on pourra consommer plus tard.
Cette pratique est d’autant plus répandue aux États-Unis que les portions alimentaires y sont fort généreuses au point de souvent rassasier le consommateur à mi-assiette. Dans un pays où l’argent dépensé justifie en lui-même l’obtention d’une quantité donnée et bien acceptée de biens ou de services, il était finalement assez logique qu’apparaisse cette habitude : après tout, le client a payé pour un plat complet, et même s’il n’a pas pu tout manger, la moitié restante de l’assiettée lui appartient quand même et lui restituer dans un emballage idoine ne choque personne outre-Atlantique.
En France, les habitudes sont évidemment différentes.
D’une part, les portions distribuées sont généralement plus modestes. Habitude d’une consommation plus sage ou culture de mets plus fins dont le rapport volume/prix est probablement défavorable aux restes dans l’assiette, allez savoir… En tout cas, rares sont les établissements qui, dans le pays, proposent spontanément cette facilité aux clients à petits appétits. Du reste, encore plus rares sont les clients qui émettent le souhait de repartir avec leurs restes, peut-être par peur du ridicule ou plus simplement parce que l’idée semble saugrenue de se trimbaler sous le bras, après un dîner aux chandelles, avec son rôti de veau ou sa langue de bœuf mitonnée avec soin par le chef local.
Néanmoins, une situation parfaitement neutre comme celle-ci, acceptée du reste par une écrasante majorité de gens, ne peut pas rester sans réponse de la part des élites qui nous gouvernent ou, plus exactement, de ceux qui, à l’Assemblée Nationale, écrivent des lois pour se désennuyer et sortir de la torpeur dans laquelle les plongent de trop copieux repas que la cantine locale, réputée fort bonne, distribue très généreusement. À cette absence de problème, il fallait donc une réponse rapide et forte.
Eh bien rassurez-vous, c’est dans les tuyaux : un amendement en ce sens vient d’être adopté par la Commission Développement Durable de l’Assemblée Nationale.
L’idée derrière cet amendement est, comme très souvent, l’une de ces petites dalles en céramique de bon sentiments qui pavent avec application la route de l’enfer administratif et bureaucratique que le pays s’efforce de devenir : en substance, il s’agit de lutter contre le gaspillage.
Surprise ! La Loi Consommation, en place depuis quelques années et malgré les efforts invraisemblables (et rigolos) de Benoît Hamon de fourrer ses doigts partout où il le pouvait, ne prévoit pourtant pas de lutter contre les restes à la cantoche. Eh non, jusqu’à présent, rien n’impose au restaurateur de proposer ce “doggy bag” à ses clients.
Heureusement, ce tragique oubli va être réparé : parce que, selon les dernières statistiques affolantes disponibles sur la question, les pertes de nourriture sont cinq fois plus élevées au restaurant qu’au foyer (157 grammes par personne et par repas), parce que l’habitude existe outre-atlantique et parce qu’en France, elle ne semble pas s’implanter toute seule, les élus vont obliger les restaurateurs à mettre ce “doggy bag” à disposition de leurs clients.
Encore une fois, par la magie de la loi, on va transformer ce qui est du ressort de l’habitude ou d’une interaction entre individus consentants en une nouvelle obligation qui donnera au client une nouvelle raison de se plaindre (sport national) lorsqu’on ne lui proposera pas ce qui deviendra son Droit Inaliénable Le Plus Strict. Et encore une fois, ce qui auparavant relevait de la bonne intelligence du cuisinier de gérer correctement ses portions afin d’offrir un rapport qualité-prix compétitif va maintenant se déliter au profit d’une obligation générale et fourre-tout.
Restera à la loi l’intéressante définition de ce qui constitue un reste dans une assiette : à partir de quelle quantité de grains de riz, de nouilles ou de brocolis en sauce pourra-t-on décemment exiger son doggy-bag ? Si l’assiette n’a pas été proprement léchée ou saucée avec un petit bout de pain, les reliquats de sauce constituent-ils un motif suffisant de doggy-bag ? Et si oui, devra-t-on le fournir dans des récipients standardisés, évidemment normés et réclamés à l’aide de l’inévitable cerfa républicain ?
Tant de questions palpitantes qui ne manqueront pas d’occuper les députés et les sénateurs lorsque l’amendement, suivant le parcours institutionnel habituel, passera de Commission en Commission avant son adoption.
Pendant ce temps, il semble que personne ne s’affligera de cette nouvelle débauche de moyens à la résolution d’un problème inexistant, le gaspillage étant en réalité à peu près inexistant dans une économie capitaliste correctement gérée, ce capitalisme étant par essence même le premier moteur de l’optimisation anti-gaspillage. Et en plus, ce n’est pas moi qui le dit, mais Karl Marx lui-même dans le livre III du Capital…
S’il y a gaspillage, c’est bien plus sûrement le résultat d’une société où la responsabilité des uns est diluée dans les droits des autres, où les coûts de ce gaspillage sont ainsi cachés à ceux qui devront finalement payer la facture.
Plus sûrement encore, plutôt que de regarder dans l’assiette des autres, nos aimables députés feraient bien de regarder tout le gaspillage de papier que ces propositions ridicules et niaiseuses provoquent, tout ce gaspillage d’énergie législative employée pour créer de nouvelles normes et de nouvelles habitudes artificielles imposées pour façonner une société selon leurs désirs à coup d’obligations et d’interdictions. Énergie qui ne sera pas employée, du reste, à sabrer dans les monceaux de normes, d’obligations, de cerfas plus ou moins impénétrables que l’administration nous pond à rythme soutenu.
Lorsque Macron fut élu, la petite proportion de Français qui l’a poussé au pouvoir se doutait-elle que le renouvellement politique se traduirait par ce genre de fumigènes parlementaires ? Qu’on aboutirait finalement à l’exacte copie des délires législatifs des mandatures précédentes ? Qu’en plus de gaspiller de l’énergie à ces fadaises, de mobiliser inutilement des intelligences sur des sujets aussi futiles, on perdrait en plus un temps précieux pour améliorer, effectivement, le quotidien des Français ?
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Sur le web
Au passage, cet usage est extrêmement répandu aussi en Asie, au point que si vous demandez la chose dans un restaurant chinois on ne vous regardera pas de travers et au contraire, on se fera un plaisir de vous emballer vos restes.
L’opération est aidée par le fait qu’en général, hors traiteurs évidemment, tout le repas n’est pas présenté ensemble dans l’assiette mais sous forme de plats indépendants.
Je ne vois vraiment pas le but de cette loi, un restaurant ne m’a jamais refusé d’emmener mes restes ?!
@Chk
Bonjour,
Aucun restaurant où j’ai demandé à emporter ce que je n’avais pas consommé n’a refusé d’emballer les restes. Un serveur a été un peu surpris, mais c’était parce qu’il s’est demandé dans quoi il pourrait emballer les restes. Les cuistots lui ont lavé un pot de glace.
Cette coutume/habitude/pratique n’est pas si rare que cela : on demande bien “du mou pour le chat” ou des “os pour le chien” chez le boucher.
Cette loi n’a qu’un seul but :
elle créera une nouvelle infraction, et sera donc soumise à sanction. Dans un pays en rade d’argent qui racle les fonds de tiroirs, surtout les nôtres, la sanction ne pourra être autre chose qu’une amende.
Exactes copies des délires précédents ? Je vous trouve bien aimable. Des 11 vaccins obligatoires au 80 km/h en passant désormais par le doggy bag, c’est 10 fois pire. Ca doit être parce qu’en plus d’avoir une brillante administration, nous avons aussi des ministres technos…
Délire sous-entend que cela partirait de la tête, mais à l’évidence après trois années de diarrhées législatives, nous sommes passés à 3 années de dysenterie législative…
Il faut justifier le salaire des députés.
Grèce, Italie, Espagne, Angleterre, mais aussi France, on ne m’a jamais refusé la demande d’emporter mes restes. Les établissements se sont toujours exécutés sans aucun souci.
Le pouvoir discute sur le sexe des anges. Et on sait tous comment cela se termine.
@ Zod
Le doggy bag est bien sûr une possibilité très répandue dans le monde qui donne très rarement lieu à un refus .
C’est plutôt une sorte de compliment, et le “doggy” n’en est plus le plus fréquent bénéficiaire!
Un facteur supplémentaire actuel est évidemment le traitement des déchets dont la quantité récoltée augmente autant que le prix de la collecte et du traitement: le tri est une évolution qui se passe, somme toute, pas si mal avec un assentiment progressif des “consommateurs” toujours en évolution favorable.
La loi se limite à consacrer cet usage que les quelques derniers restaurateurs récalcitrants ne pourront plus refuser!
La “nouvelle cuisine” est aussi passée par là: elle vous vendait sur une large assiette surmontée d’une cloche, 4 scampis décorés d’un petite cuiller d’une sauce légère aux ingrédients inhabituels et audacieux!
Ce snobisme ne pouvait durer, dont acte!
D’autres pays ont déjà fait le choix d’officialiser cet usage (connu!) du doggy bag sans en faire du tout un “fromage”! Et les restaurateurs ont souvent les contenants ad hoc!
Et si vous claquez d’intoxication alimentaire…? Qui sera responsable? Le restaurateur…? Ou vous qui aurez laissé le précieux colis “murir” au fond du coffre de votre voiture?
C’est exactement la question que je me posais. Bah, ce sera l’occasion de faire une réglementation supplémentaire sur la manière d’emballer les restes, avec obligatoirement une sonde de température…
le précieux E.coli en l’occurrence !
@Kansas Beat
Bonsoir,
“Et si vous claquez d’intoxication alimentaire…? Qui sera responsable? Le restaurateur…? ”
Ce sera vous le responsable : votre nourriture dans votre “doggy bag”, oublié dans votre coffre.
et pourquoi pas l’état si le restaurateur se permet de signaler ce risque et qu’il est contraint par la loi..
vite une autre loi pour des doggy bags réfrigérés …
… et portant de manière bien visible le numéro d’agrément obtenu à prix d’or du Ministère de la Santé.
et bien sûr le franciser le sacsac à toutou.
arrêtez donc de critiquer notre gouvernement ; il faut bien donner du blés à moudre à tout ce petit monde puisque les sujets sérieux ne sont pas à la portée intellectuelle de nos très chers élus…..
voila…ça c’est de la promotion de la liberté…
Pas besoin de proposer autre chose que de laisser les gens tranquilles.
On peut imaginer que sur cette loi à la noix vont se greffer des précisions afin de corriger les dérives…intoxications, recyclage, durabilité, avertissements santé ( manger gras tue) etc…
Comment ça “manger gras tue” ? Mais nous avons régulièrement ici des articles nous expliquant que c’est faux !
oui pardon, “manger tue”.
Je me vois bien réclamer mon doggy bag au MacDo
Nos polytocards auraient-ils des intérêts dans les producteurs d’emballages ❓ Cela pue le lobby à plein nez enrhumé ❗
@MichelC
Bonjour,
“Cela pue le lobby à plein nez enrhumé !”
Bien vu ! Tout pareil que pour l’éthylotest !
Pour ce qui est du McDo, c’est possible, ils ont des boîtes et des sacs. Bon, après pour le goût du sandwich, passé 20 minutes, heuuuu… Si on les jetait après 10 minutes (règlementaires) c’est qu’il y avait une raison.
N’ayant jamais laissé quoique ce soit de consommable dans mon assiette et plutôt demande du rab…la loi prendra t elle en compte ma revendication du rab obligatoire ?
Et que vont devenir ces restaurants présentant des buffets à volonté ?
Question gaspillage il nous semble que c’est l’état qui en France dilapide 100 milliards d’euros tous les ans! Que comptent donc faire nos élus pour le réduire?
C’est pour faire oublier les gaspillages monstres de l’état. Coup double avec le lobby de l’emballage.
un taxpayer bag.
Dans un pays normal, ça aurait été le poisson d’avril des législateurs.
Préoccupation d’enfants gâtés!
Moi qui ai grandi dans le dénuement et la commisération charitable, j’ai toujours fini mon assiette, même si ce n’est pas bon, par empathie pour les millions de petits chinois qui meurent de faim.